Limite avec commutateur de fonctions holomorphes
Voici un joli exercice pour un cours d’analyse complexe. Soient f et g deux fonctions distinctes, holomorphes et non-linéaires définies dans un voisinage de 0 et telles que
f(0) et g(0) sont nuls et f‘(0) et g‘(0) sont non-nuls. Quelle est la limite en 0 de la fonction
\(\frac{f\circ g-g\circ f}{f^{-1}\circ g^{-1}-g^{-1}\circ f^{-1}}\ ?\)
Cet exercice n’est pas difficile, mais nécessite un peu plus que deux ou trois lignes de calcul. On pourra ensuite utiliser le résultat pour calculer la limite
\(\lim_{x\to0}\ \dfrac{\sin(\tan(x))-\tan(\sin(x))}{\arcsin(\arctan(x))-\arctan(\arcsin(x))}\)
qui est celle du second problème du
Trivium d’Arnold.
C’était par hasard que je suis tombé sur cette question, en préparant un contrôle où les étudiants doivent se servir du logiciel de calcul formel Maxima. Je me suis aperçu que dans certains cas le logiciel donne des résultats contradictoires et donc je me suis décidé de faire le calcul à la main, pas seulement dans l’exemple des fonctions sinus et tangente mais dans le cadre plus général de la question que je vous propose.
Pour ceux qui utilisent Maxima, voici le petit programme où le logiciel fait des erreurs (au moins avec ma version wxMaxima 14.09.0):
v(x):=(sin(tan(x))-tan(sin(x)))/(asin(atan(x))-atan(asin(x)));
taylor(v(x),x,0,4);
V(x):=integrate(v(t),t,0,x);
taylor(V(x),x,0,5);
Pour la fonction v Maxima donne comme série de Taylor
\(v(x)=1+\frac53x^2+\frac{1313}{1890}x^4+O(x^6).\)
C’est correct. Mais pour la primitive V il fournit le résultat suivant qui est évidemment faux:
\(V(x)=x+\frac{35}9x^3+\frac{40703}{9450}x^5+O(x^7).\)
Comme quoi il faut pas seulement se méfier des résultats numériques d’une calculatrice (voir par exemple ici) mais aussi des logiciels de calcul formel.
Pas beaucoup de réponses ! Faut dire poster ça un soir de départ en vacanaces …. Par contre pour se remttre en jambe c’est un bon exercice. Bon, je me lance, je pars d’un DL de f et g à l’ordre p>1 (le plus petit possible pour avoir au moins un terme d’ordre p différent de 1) :
\(f(x)=ax+bx^p+o(x^p)\)
\(g(x)=cx+dx^p+o(x^p)\)
de sorte que
\(f\circ g(x)=acx+(bc^p+ad)x^p+o(x^p)\)
\(g\circ f(x)=cax+(da^p+bc)x^p+o(x^p)\)
et
\(f\circ g(x)-g\circ f(x)=(ad-bc+bc^p-da^p)x^p+o(x^p)\)
il faut faire la même chose avec les réciproques dont les DL en x=0 se déduisent des précédents pourvu que a et c soient différents de 0 :
\(f^{-1}(x)=x/a-{b\over a^{p+1}}x^p+o(x^p)\)
\(g^{-1}(x)=x/c-{d\over c^{p+1}}x^p+o(x^p)\)
on va donc trouver (en étant un peu astucieux dans la simplification des fractions ) :
\(f^{-1}\circ g^{-1}(x)-g^{-1}\circ f^{-1}(x)={ad-bc+bc^p-da^p\over a^{p+1} c^{p+1}}x^p+o(x^p)\)
d’où le résultat
\(\lim_{x\to0}{f\circ g(x)-g\circ f(x) \over f^{-1}\circ g^{-1}(x)-g^{-1}\circ f^{-1}(x)}=a^{p+1} c^{p+1}\)
Dans l’application demandée, a=c=1 et p=3, donc la limite vaut 1.
Bravo et merci, Philippe, pour ton calcul courageux pendant les vacances 😉 Mais de toute manière, dernièrement tu t’es bien entrainé en DL comme le montre ton billet du 15 décembre.
C’est tout à fait juste, la limite est (f'(0)g'(0))p+1 où p est l’ordre du plus petit terme non-linéaire et non-nul dans les séries de Taylor de f et g ; on voit d’ailleurs très bien dans ta preuve qu’il suffit de supposer que f ou g est non-linéaire (au lieu de « et »).
Et je ne crois pas qu’on puisse faire une preuve plus courte que la tienne (sauf peut-être passer par la généralisation à
(f-g)/(g-1-f-1)).
Sauf que ! Nous avons tous les deux oublié de traiter le cas où le dénominateur est nul modulo o(xp). Cela peut arriver si, par exemple, a=c et b=d.
Effectivement, il a même un problème quand \( f(x)= g(x) +o(x^p)\) pour autant il me semble que dans ce cas on doit pouvoir s’en tirer avec un changement de variable du type : \( x=u-{b\over a} u^p\) qui tend vers 0 lorsque \(u\to 0\). Ce changement de variable va faire disparaître les termes d’ordre p des DL
\( F(u)=f\left(u-{b\over a} u^p\right)= au +o(u^p)\)
\( G(u)=g\left(u-{b\over a} u^p\right)= cu+o(u^p)\)
Donc on peut espérer qui le premier terme non-linéaire de F et de G soient différents (d’ordre q>p disons) et appliquer la méthode précédente :
\( \lim_{x\to 0}{f\circ g(x)-g\circ f(x) \over f^{-1}\circ g^{-1}(x)-g^{-1}\circ f^{-1}(x)}
=\lim_{u\to 0}{F\circ G(u)-G\circ F(u) \over F^{-1}\circ G^{-1}(u)-G^{-1}\circ F^{-1}(u)}=a^{q+1}c^{q+1}\)
attention il y a une subtilité dans l’égalité des limites :
\( F(G(u))=f\left(G(u)\right)-b G(u)^p +o(u^p) =f\left(g(x)\right)-b G(u)^p +o(u^p) \)
\( G(F(u))=g\left(F(u)\right)-d F(u)^p +o(u^p) =g\left(f(x)\right)-d F(u)^p +o(u^p) \)
Mais tout se passe bien car \( -d F(u)^p =-b G(u)^p +o(u^p) \) (ça doit marcher pareil pour \( F^{-1} \) et \( G^{-1} \) sauf erreur de ma part 🙂 ) . Si on a encore \( f(x)= g(x) +o(x^q)\) ben on recommence … la méthode échoue si \( f(x)= g(x),\forall x \) mais dans ce cas le quotient n’est pas défini!
en fait c’est bien plus grave que je ne pensais : \(ad-bc+bc^p-da^p=0\) dès que a=c=1 (peu importe b et d) donc dans le cas où on l’a appliqué !! J’ai pas essayé de faire une dilatation \(x\to kx, k>0\) pour ramener ce cas à celui de a et c sont différents de 1. Pour que ça marche il faudrait vérifier que la limite reste la même quand on remplace les fonctions \(h(x)\to H(x)=h(kx)\) comme ce que j’ai esquissé pour le cas "a=c et b=d" …
Voilà ce que je proposerais comme remède. Je résume en reprendant les notations du premier commentaire de Philippe. On rappelle que les nombres a et b sont tous les deux non-nuls d’après l’hypothèse d’inversibilité locale de f et g; en plus c et d ne sont pas tous les deux nuls. Là où Philippe écrit « en étant un peu astucieux dans la simplification des fractions » on trouve la limite:
Le problème est que cette fraction n’a pas de sens lorsque le dénominateur ad-bc+bcp-dap est nul. Considérons donc ce cas là. Or l’équation dZ-bc+bcp-dZp=0 possède au plus p solutions dans le plan complexe (on suppose ici que d est non-nul; sinon permuter les rôles des fonctions f et g). Donc pour tout \(\varepsilon\) non-nul et assez petit
\((a+\varepsilon)d-bc+bc^p-d(a+\varepsilon)^p\neq0.\) Alors on fait une petite perturbation
où \(\varepsilon\) est un petit nombre complexe non-nul. Par conséquent, pour tout \(\varepsilon\) non-nul et assez petit
Maintentant il ne reste qu’à justifier qu’on peut intervertir les deux limites \(\varepsilon\to0\) et \(z\to0.\) J’avoue de ne pas avoir un argument facile pour ça, je devrais réviser les familles normales… Je suis un peu perturbé car ce résultat semble contredire celui du commentaire no.4.
Merci à Philippe pour toutes ces contributions ! La question est plus délicate qu’on ne pensait…
[L’ennui, c’est que les notations introduites plus haut "verrouillent" assez fort la suite 🙁 .]
Lorsque \(ad-bc-(a^pd-bc^p)=0\), je passe aux polynomes de Maclaurin d’ordre \(p+1\), disons \(ax+bx^p+Bx^{p+1}\) pour \(f\) et \(cx+dx^p+Dx^{p+1}\) pour \(g\).
Je trouve alors \((ac)^{p+2}\) pour limite, à condition que \(aD-Bc-(a^{p+1}D-Bc^{p+1})\) ne soit pas nul. Et pour le coup, cela ne marche toujours pas si \(a=c=1\).
🙁