Faut-il un corps pour la méthode du pivot ?
A l’occasion de la solution d’un joli exercice de type colle sur les matrices (voir le blog de Pierre Lecomte), je suis naturellement amené à poser la question suivante.
Soit A une matrice inversible à coefficient dans un corps. Alors par des opérations élémentaires sur les lignes on peut transformer A en la matrice unité. En fait c’est la méthode du pivot de Gauss qui permet cela. On en déduit que A est un produit de matrices correspondantes aux trois types d’opérations élémentaires (permutation de lignes, multiplication d’une ligne par un scalaire non-nul, ajout d’une ligne à une autre).
Cette écriture en produit est pratique car elle permet de prouver plein de choses. Par exemple, pour montrer que le déterminant conserve les produits il suffit de le vérifier pour la multiplication entre une matrice de ce type et une matrice quelconque — et c’est tout facile.
Or comment ça se passe-t-il sur un anneau ? Plus précisément :
Soit R un anneau commutatif et A une matrice carrée avec coefficients dans R telle que det(A) est une unité de R. On sait que A est une matrice inversible (c’est du classique, voir par exemple ici pour la formule qui donne l’inverse en fonction de (det A)-1 et de la comatrice).
Question : Peut-on ramener A à la matrice unité par des opérations élémentaires ?
Peut-être avez-vous déjà réfléchi là-dessus et connaissez la réponse…
Même pour des matrices de déterminant 1, la réponse est non en général. Ceci est lié à la K-théorie algébrique (et plus précisément au \(K_1\)).
Voir sur Wikipedia Algebraic K-theory.
Merci, la réponse vient de JLT, un spécialiste de la K-théorie. J’ai seulement des vagues souvenirs de questions similaires dans mon mémoire de maîtrise qui portait sur des fibrés vectoriels, des modules projectifs et le théorème de Quillen-Suslin… Le temps a fait du ménage dans ma tête 😉
Il est possible d’effectuer la méthode du pivot sur certains anneaux, appelons les : Anneaux de Gauss.
Tout anneau unitaire commutatif (pas forcément intègre) admettant un élément x tel que tout élément non inversible est divisible par x, est un anneau de Gauss.
Il existe bien sur de tels anneaux, par exemple les anneaux locaux dont l’idéal maximal est principal.
De plus si on considère (A_i) une famille d’anneau de Gauss alors l’anneau A obtenu en faisant le produit cartésien de ces anneaux est aussi un anneau de Gauss.
J’ai fais de ces deux résultats dont j’ai eu l’idée deux développements pour l’agrégation en les appliquant à Z/nZ vu comme produit de Z/p^i Z et à l’anneau des séries formelles K[[X]].
Je pourrais en rédiger une preuve si cela vous intéresse.
Bien sûr une preuve serait intéressante pour moi et les lecteurs du blog ! Quand vous écrivez
je crois que c’est incomplet et qu’il faut demander en plus que x soit non-inversible (car sinon on peut prendre x=1 et tout anneau unitaire serait de Gauss).En effet, et il y a même deux erreurs dans mon post ci-dessus.
D’une part x doit être non-inversible.
Et d’autre part le produit cartésien doit être fini.
Très bien je rédigerais un papier là dessus où je démontrerais même un peu plus…
Il me semble que si A est un anneau (commutatif unifère) non nécessairement intègre possédant une division Euclidienne, alors toute matrice de déterminant inversible a est produit de matrices de transvection élémentaires et de la matrice de dilatation \(\mbox{diag}(1,\ldots,1,a)\). En gros, l’idée est de faire des divisions Euclidiennes dans la première colonne jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul terme non nul. En faisant encore 2 opérations élémentaires, on se ramène à ce que ce terme soit égal à 1 et se trouve en haut à gauche. On continue ensuite dans la 2e colonne, etc.
Oui je l’avais dors et déjà rédigé dans mon papier mais cela ne marche pas dans tout les anneaux unifère loin de là…
Cette méthode ne marche que pour des anneaux euclidiens. D’ailleurs j’ai remarqué que beaucoup font la confusion et utilise ainsi la division euclidienne à tord.
Voilà l’article sur les anneaux de Gauss que Jérémy Blasselle nous a rédigé. Je lui remercie beaucoup !
Dans l’article de Jérémy Blasselle, il est sous-entendu que si I est un idéal de A, alors \(SL_n(A)\to SL_n(A/I)\) est toujours surjective, ce qui ne me semble pas évident (c’est même peut-être faux).
P.S. Voici un exemple où \(SL_n(A)\to SL_n(A/I)\) n’est pas surjective. Considérons \(A=C(B_4)\) l’anneau des fonctions continues sur la boule Euclidienne de \(\mathbb{R}^4\), à valeurs complexes. Alors \(C(S^3)\) est un quotient de \(A\), donc de la forme A/I (en fait, I est l’idéal des fonctions continues sur la boule qui s’annulent sur la sphère). Montrons que \(SL_2(A)\to SL_2(A/I)\) n’est pas surjective. Cela revient à montrer que \(C(B_4,SL_2(\mathbb{C})) \to C(S^3,SL_2(\mathbb{C}))\) n’est pas surjective. Autrement dit, il faut montrer qu’il y a une fonction de \(S^3\) dans \(SL_2(\mathbb{C})\) qui n’est pas homotope à une fonction constante. Or, \(SL_2(\mathbb{C})\) est homéomorphe à \(SU(2)\times \mathbb{R}^3\) et \(SU(2)\) est homéomorphe à \(S^3\), donc la conclusion vient du fait que \(\pi_3(S^3)\) n’est pas trivial.
Merci pour cette très beau contre-exemple ! Je vulgarise un peu, et JLT me dira ensuite si j’ai bien compris.
Il faut trouver un élément de \(C(S^3,SL_2(\mathbb{C}))\) qui ne s’obtient pas par restriction à partir d’une application définie sur la boule. Pouvoir prolongement une fonction de la sphère à la boule n’est plus garanti maintenant car il s’agit d’applications à valeurs dans \(SL_2(\mathbb{C})\). Plus précisément on a :
Une fonction continue sur la sphère est prolongeable en une fonction continue sur la boule si et seulement si elle est homotope à une fonction constante. En effet, la boule étant union de sphères concentriques il suffit d’interpréter le paramètre \(r\in[0,1]\) de l’homotopie comme le rayon de ces sphères ; pour r=0 on a bien une constante.
Dans la seconde preuve du théorème 1.5, on a en fait bien une surjection si le quotient A/I est un anneau de Gauss (ce qui est le cas ici). En effet Sln(A/I) est engendré par des matrices de transvections qui peuvent se relever en des matrices de transvections de Sln(A).
Du coup la preuve de JLT est doublement intéressante puisqu’elle fournit un exemple d’anneau qui n’est pas de Gauss.
Et vous avez raison, le (i) de la proposition 1.6 est en effet totalement faux et il en est de même pour la première preuve du corollaire 1.7. Honte à moi… Du coup, j’ai tout de même bien fait de donner deux preuves pour ce résultat.
Actuellement j’essaye de démontrer que si A est intègre, alors A[X] est de Gauss si et seulement si A est un corps.
Je pense avoir trouvé une matrice de Sl2(A[X]) qui n’est pas engendré par les matrices de transvections si A n’est pas un corps mais je n’arrive pas à le démontrer.
Il s’agit de la matrice suivante : \(\begin{pmatrix} a^2 & aX+1 \\ aX – 1 & X^2 \end{pmatrix}\).
Mathoman : oui, c’est bien ce que je voulais dire.
En ce qui concerne le fait que, étant donné une fonction continue f définie sur la sphère S, f est homotope à une fonction constante si et seulement elle se prolonge à la boule B :
La donnée d’une homotopie entre f et une fonction constante équivaut à la donnée d’une application continue F définie sur le cône \(C = ([0,1] \times S)/(\{0\}\times S)\) dont la restriction à \(\{1\}\times S\) est f. Or, l’application \((t,x)\mapsto tx\) induit une bijection continue g de C vers B. Un argument de compacité entraîne que g est un homéomorphisme. Par conséquent, la donnée d’une homotopie équivaut à celle d’une application continue sur B dont la restriction à S est f.
J’en profite pour dire que j’aurais pu raisonner sur \(SL(2,\mathbb{R})\) dont le \(\pi_1\) est non trivial, ce qui aurait rendu l’argument plus facile à appréhender si on ne connaît pas les groupes d’homotopie supérieurs.