Torsion du bras – le groupe fondamental de SO(3)
Dernièrement nous avons parlé de groupes cycliques et du groupe de rotation SO(3). Aujourd’hui nous allons revisiter ces deux notions pour explorer une jolie propriété en mathématiques.
Voici une petite vidéo où je tourne mon bol de café au lait. Plus précisément je lui fais deux tours complets. On remarquera qu’après le premier tour mon bras est tourdu, mais après le deuxième tour mon bras revient à sa comfortable position du début.
MathOMan tord son bras… et le remet à sa place!
Explication (par handwaving en prose)
- Choisissons deux antipodes P et Q sur la sphère et notons g le chemin qui va de P à Q en ligne droite. Or g est un lacet dans SO(3) à cause de l’identification des antipodes. Plus précisément, il s’agit des rotations atour de l’axe fixe (PQ) commençant avec l’angle -180° et finissant avec l’angle 180°. Ce lacet g représente donc précisément un tour de la tasse de café.
- Soit h un demi-cercle sur la sphère, allant de P à Q. Il est clair qu’on peut déformer g continûment en h. En termes d’homotopie on a alors g=h.
- Considérons le demi-cercle h’ allant de Q à P qui complète h en un cercle entier. Maintenant vient le point crucial: le cercle entier h+h’ est homotope au lacet constant, car on peut le « rétrécir en un point ».
- D’autre part il est clair que, par identification des antipodes, h et h’ sont deux lacets identiques dans SO(3). Nous obtenons ainsi 2g=2h=h+h’=0 dans le groupe fondamentale de SO(3).
Il reste à voir qu’on n’a pas déjà g=0, autrement dit qu’il est impossible d’avoir le bras en place déjà après le premier tour. Une manière simple de comprendre que g , ou encore h, n’est pas homotope au lacet constant est de voir h comme un lacet dans l’espace projectif de dimension 3. Il correspond alors à la rotation d’une droite dans l’espace de dimension 4, d’angle 180° autour d’un axe perpendiculaire. La droite revient sur elle-même, mais on ne peut pas rétrécir ce mouvement.
Voilà, si on formalise ces raisonnements un peu plus, on démontre que le groupe fondamental de SO(3) (ou plus généralement d’un espace projectif de dimension au moins 3) est le groupe cyclique à deux éléments Z/2Z.
Les physiciens adorent ce genre de propriétés mathématiques et invoquent même le groupe de Spin, revêtement universel de SO(3). Mais pour expliquer ces applications en physique théorique, il faudra un autre bloggeur — peut-être un PhysOMan?
On m’a recommandé à ce sujet le livre Spinors & Space-Time de Roger Penrose et Wolfgang Rindler mais mes maigres pré-recquis en physique m’ont découragé de l’acquérir 😉
Vous êtes des tordus les matheux ! ;-))
Bravo pour cette démonstration très claire.
Je ne suis pas « physoman », mais pour aller vite, la clef pour comprendre le rapport de tout ça avec le spin d’une particule, c’est que faire « agir une rotation sur une particule » revient à utiliser une représentation de SO(3) sur sa fonction d’onde, et comme la fonction d’onde est définie à une phase près, il s’agit d’une représentation projective. Or les représentations projectives de SO(3) correspondent exactement aux représentations (linéaires) de son revêtement universel (que les physiciens préfèrent voir comme SU(2)).
C’est exactement ce que j’allais dire….
Bonjour,
je trouve cet article très intéressant, notamment parce qu’on se sert d’une représentation géométrique (la boule) pour visualiser l’espace topologique que sont les rotations de l’espace !
Mais j’ai quelques questions (je dois manquer d’imagination … entre autres !):
– Y at’il une distance particulière sur les rotations ? Celle qui semble intervenir naturellement est la proximité de l’angle de rotation et de la droite (autrement dit, que les deux points associés sur la boule sont "proches"), peut on le dire formellement ? (autrement dit, comment pourrait on montrer que les deux espaces sont homéomorphes ?)
– J’ai beaucoup de mal à me représenter le sens de la phrase "… ( g est un lacet dans SO(3) à cause de l’identification des antipodes.) Plus précisément, il s’agit des rotations atour de l’axe fixe (PQ) commençant avec l’angle -180° et finissant avec l’angle 180°. Ce lacet g représente donc précisément un tour …".
Je n’arrive pas à associer un lacet avec l’action de tourner dans l’espace (mais j’ai saisi, en revanche, l’association des antipodes qui assure qu’on évoque un lacet et non pas un simple chemin) :/
A quoi correspondrait alors un chemin ondulant d’un pôle à l’autre ? Car d’après votre post précédent (fort intéressant lui aussi, et qui permet de bien voir les relations utilisées) le lacet, en quelque sorte, "parcourt des rotations" pour revenir à la même (+180 ou -180, identiques donc) et ce, dans le cas idéal de l’exemple, en ne considérant que les rotations autour d’un même axe (trajet en ligne droite): c’est donc un "ensemble" (en fait une application continue) de rotations … qui code une seule rotation ?! Me voilà assez désarçonné 🙂
-Enfin, (il y d’autres choses, mais peut être que tout s’éclaircira bientôt) on en conclut que le (l’unique ?) groupe fondamental associé est Z/2Z, donc qu’il n’y a que 2 types de lacets. Je suppose qu’on sous entend quand même que le groupe dont on parle est associé à un point de base (un pôle de la boule, donc une rotation de 180 degré autour d’un axe choisi), ou bien je me trompe encore ?
Dans cette optique, on pourrait moralement regarder n’importe quel point de la boule, et lui associer deux types de lacets, un trivial (qui reste "dans" la boule) et un plus particulier qui utilise des antipodes pour rejoindre sa base. Celà aurait il du sens ?
Je me doute que ces questions sont idiotes, mal posées et qu’elles relèvent surement d"une incompréhension du sujet, toutefois j’espère que vous aurez la patience de m’expliquer, car je suis très curieux de cette vision des choses.
Votre article est en tout cas bien présenté, merci encore !
Bonjour « Etudiant », la qualité de vos remarques montrent en fait que vous êtes vous-mêmes en possession des réponses à la plupart de vos questions 😉 Etes-vous vraiment un « étudiant »?
Je vais juste répondre à votre deuxième question car il est possible que beaucoup de lecteurs se la posent également.
Probablement la confusion vient d’une « mauvaise représentation mentale » de ce que c’est un élément de SO(3). On dit que les éléments de SO(3) sont des mais ce mot est dangereux car il incite à penser à un mouvement en continu; une meilleur désignation aurait été . En effet, il faut s’imaginer une rotation comme une position, à translation près, d’un objet dans l’espace (si on travaille dans une base orthonormée fixé sur l’objet on peut coder une rotation par une matrice dont les colonnes forment une base orthonormée et ainsi déterminent la position de l’objet). Mais en aucun cas il ne faut s’imaginer une rotation comme quelque chose du type « je vois l’objet tourner d’un certain angle autour d’une axe donné » car là on voit toutes les positions intermédiaires tandis que c’est seulement la position finale qui doit représenter la rotation. En fait, voir l’objet pendant le mouvement correspond à un chemin dans SO(3) mais pas à un élément de SO(3).
Le que vous mentionnez est donc homotope au lacet g, c’est-à-dire au mouvement continu qui consiste à faire tourner un objet une fois autour d’un axe fixe.
Est-ce que c’est plus clair maintenant?
C’est bien plus clair, en effet !
Merci beaucoup de votre réponse.
PS: oui, je suis bien étudiant en deuxième année de prépa MP 🙂
Bonjour, auriez vous des réponses précises aux autres questions (à la première particulièrement, je ne suis pas habitué à montrer que deux espaces sont homéomorphes) ?
j’espère ne pas vous déranger en tout cas, et merci encore 🙂
Concernant la première question : l’ensemble SO(3) étant une partie de l’espace R9 des matrices 3×3, il est de manière naturelle un espace métrique. D’autre part, le quotient de la boule fermé est également un espace métrique car c’est en fait une variété différentiable de dimension 3 (pour la boule ouverte c’est évident, et le fait d’identifier les antipodes c’est localement comme recoller deux demi-espaces fermés séparés par un plan).
Donc pour montrer que l’application de SO(3) sur le quotient de la boule et sa réciproque sont continues on peut utiliser le critère intuitif de « continuité par des suites ». Mais je crois que faire les calculs explicites n’est pas une chose évidente et ne nous éclaircira point. Parmi matheux on parlerait probablement d’une « évidence admise ». Qu’en pensent les autres lecteurs?
D’accord.
Et merci encore d’avoir bien voulu me répondre 🙂
Pour information la phrase " SO(3) peut être vu comme la boule d’unité (de l’espace ambiant à trois dimensions) après identification des antipodes sur la sphère " est un peu douteuse.
SO(3) est homémorphe à RP^3, qui est la sphere de dimension 3 ( c’est à dire plongée dans R^4 et non ‘l’espace ambiant à trois dimension") après identification des bords.
Ce qui est décrit par la phrase de l’article est plutôt RP^2
Non, non, je ne me suis pas trompé, c’est bien ça ! Peut-être avez-vous lu un peu trop vite. En fait, SO(3) peut être vu de la manière que j’ai écrite aussi bien de la vôtre. C’est justement ça qui est intéressant ici, que SO(3) est homéomorphe à un quotient de la boule d’unité dans l’espace à 3 dimensions aussi bien qu’à un quotient de la sphère d’unité dans l’espace à 4 dimensions (et donc à RP3). Voir plus de détails ici.