Visualiser la composée de deux rotations

Lorsqu’on enseigne un sujet élémentaire en mathématiques pendant plusieures annnées on pense souvent d’avoir fait le tour des théorèmes et preuves fondamentaux. C’est normal car on a lu des livres sur ce sujet, regardé les articles Wikipédia, étudié les polycopiés mis à disposition sur internet par d’autres enseignants et discuté avec des collègues sur certains astuces, etc. Il est donc rare de pouvoir être surpris par du neuf. Mais c’est exactement ce qui m’est arrivé recemment quand j’ai lu, dans un ouvrage de vulgarisation de surcroît, la réponse à la question suivante que je m’étais déjà posée maintes fois:

Question: Soient R et S deux rotations vectorielles dans l’espace, données par leurs axes orientés et leurs angles. Comment peut-on déterminer géométriquement, par une simple dessin, l’axe et l’angle de la composée SoR?

(Rappel : Rotations vectorielles signifie que les deux rotations laissent invariant un point commun, l’origine.)

Je ne donne pas toute de suite la réponse car j’aimerais savoir d’abord si certains de mes lecteurs la connaissent. Peut-être êtes-vous nombreux à la connaître ! Et donc il se trouvera que je suis tellement inculte en géométrie euclidienne élémentaire que j’ai dû attendre l’été 2014 pour enfin apprendre la réponse à cette question… En tout cas, j’ai vu cette vieille méthode géométrique qui date du 19e pour la première fois il y a quelques semaines. Et j’ai l’impression qu’elle n’est plus enseignée aujourd’hui où on a tendance à tout réduire au calcul matriciel.

Quand je dis par un simple dessin je pense à une construction géométrique qui doit être aussi simple que les deux énoncés suivants concernant la composition de deux autres types d’isométries:

  • Si une translation envoie le point A sur B et une autre translation B sur C alors leur composée est l’unique translation qui envoie A sur C. (Ca se traduit par le dessin d’un simple triangle à trois vecteurs.)
  • La composée de deux réflexions par rapport à des plans sécants en une droite D est la rotation d’axe D, l’angle de rotation étant le double de l’angle entre les deux plans et l’orientation étant à déterminer sur le dessin. (Ce dessin se trouve dans tous les bons polycopiés sur le sujet.)

Le dessin et la preuve dont je parle sont des honnêtes dessins réels (sans quaternions et compagnie), compréhensibles avec un bac S.

Comme exemple on pourra calculer, dans l’espace canonique R³, l’axe et l’angle de SoRR est la rotation d’axe orienté (0,0,1), d’angle 2π/3 et S la rotation d’axe orienté (31/2,-1,0), d’angle π/2.

16 réponses
  1. veyne
    veyne dit :

    "compréhensible avec un bac S"

    …malheureusement aujourd’hui, à moins d’être tombé sur un professeur hors la loi à un moment donné, aucun élève de TS sort du lycée avec la connaissance mathématique d’une rotation.

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  2. MathOMan
    MathOMan dit :

    Vous avez raison, on ne traite pas les rotations dans l’espace au lycée. Mais tout le monde comprend ce que c’est une rotation axiale ; et un lycéen en terminale S devrait avoir fait assez d’entrainement de visualisation dans l’espace pour comprendre la construction en question. Vous allez voir, c’est presque aussi simple que l’addition vectorielle 😉

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  3. Francesco
    Francesco dit :

    Salut Bernhard,
    Je ne connaissais pas, mais j’imagine que ça doit ressembler à cela: on décompose chaque rotation en composée de deux réflexions, dont l’une est la réflexion par rapport au plan défini par les deux axes.
    Par simplification, on obtient que la composée des deux rotations revient à la composée de deux réflexions: l’axe est à l’intersection des plans et l’angle est deux fois l’angle entre les plans…
    Au plaisir de te recroiser un jour!

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  4. MathOMan
    MathOMan dit :

    Ciao Francesco,
    ton élégante méthode fonctionne très bien et je m’attendais à ce que quelqu’un la propose ici. Elle est compréhensible par un lycéen (dès qu’il a assimilé le deuxième point mentionné dans le billet). On la trouve dans certains cours, notamment dans sa version 2D (on utilise la même idée pour composer deux rotations planes de centres distincts).

    Mais la construction que je proposerai ici est encore plus courte et plus étonnante…

    Enseignes-tu toujours ta MPSI au Gabon? A bientôt à Paris ou Nice?

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  5. D. Poncet-Montange
    D. Poncet-Montange dit :

    Voici un dessin (fait avec mathematica mais annoté à la main) qui permet de voir l’axe de la rotation composée et de trouver la valeur de son angle soit 138,59° (en accord avec le calcul matriciel).
    C’est une réponse à la question mais il doit y a plus simple d’après vos commentaires.

    rotation dans l'espace
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  6. MathOMan
    MathOMan dit :

    En effet, c’est la réponse à l’exemple. Je vais poster la méthode générale dans une semaine si personne ne m’avance. En fait, elle est presque aussi simple que l’addition de vecteurs 😉

    Répondre
  7. MathOMan
    MathOMan dit :

    Voilà la méthode géométrique que j’aimerais partager avec vous. (Dans sa deuxième solution D. Poncet-Montange allait déjà un pas vers cette direction.) Je l’expliquerai de sorte qu’un lycéen peut comprendre.

    Considérons la sphère unité, c’est-à-dire l’ensemble des points qui sont à distance 1 de l’origine O. Un « grand cercle » est un cercle qui s’obtient en coupant la sphère avec un plan passant par O. Appelons « grand arc » un arc orienté d’un grand cercle. Dans la figure suivante j’ai dessiné trois grands arcs, ⟨AB⟩, ⟨BC⟩ et ⟨AC⟩. Ils constituent ce qu’on appelle un triangle sphérique.

    composition de rotations dans l'espace

    Remarquons que la longueur de l’arc ⟨AB⟩ est égal à l’angle AOB mesuré en radian.
    Notons rAB la rotation, dont l’axe est perpendiculaire au plan contenant le grand arc
    AB⟩, dont l’angle de rotation est le double de la longueur de ⟨AB⟩ et dont le sens de rotation est donné par la direction de l’arc. Alors on a la propriété suivante que je trouve vraiment surprenante.

    Théorème: rBC o rAB = rAC

    Autrement dit, on compose les rotations un peu de la même manière qu’on additionne les vecteurs avec une relation de Chasles!

    Pour prouver le théorème on considère les points B’ und C’, symétriques de B et C par rapport à A; les points A » et C », symétriques de A et C par rapport à B;
    et enfin les points A »’ et B »’, symétriques de A et B par rapport à C.

    Verknüpfung von Drehungen im Raum

    Ainsi on obtient trois copies du triangle sphérique ABC, à savoir AB’C’, A »BC » et A »’B »’C. La rotation rAB envoie le premier sur le second et la rotation rBC le second sur le troisième; par conséquence la composée
    rBC o rAB envoie le premier sur le troisième. Or la rotation rAC fait exactement pareil, et comme un triangle sphérique est suffisant pour « positionner la sphère dans l’espace », on en déduit l’égalité rBC o rAB = rAC !

    J’ai rencontré cette belle et simple méthode géométrique pour composer des rotations pour la première et seule fois il y a quelques semaines en lisant dans le livre The Road to Reality de Roger Penrose, un ouvrage destiné au grand public… Penrose écrit que cette idée est déjà vielle de 170 ans et l’attribue à Hamilton.
    Je suis certain qu’en peu de temps elle fait son apparition sur Wikipédia, dans les polycopiés, les manuels, etc. 🙂

    Conséquences

    Voici quelques corollaires du théorème.

    1. La composée de rotations est encore une rotation.
    2. La composition de rotations n’est pas commutative, c’est-à-dire l’ordre dans lequel on exécute deux rotations est important. Par exemple, avec les notations ci-dessus on trouve

      rBC o rAB = rAC  mais  rAB o rBC = rBA » o rC »B = rC »A »

      On voit ainsi que rBC o rAB et rAB o rBC ont des axes différents mais le même angle. On peut prouver ce résultat aussi matriciellement car la trace d’un produit ne dépend pas de l’ordre dans lequel on multiplie les matrices.

    3. Inégalité triangulaire: L’angle de la composée de deux rotations est majoré par la somme des angles de chaque rotation; on a égalité si et seulement s’il s’agit de rotations de même axe et de même sens.

    Je n’ai jamais lu ce dernier corollaire dans un cours et je ne sais pas à quoi pourrait ressembler une preuve matricielle.

    D’ailleurs, le connaisseur n’est certainement pas surpris par le fait qu’il faut travailler avec des arcs à mi-angle; en fait, c’est similaire au phénomène que c’est une rotation de 720° et pas une de 360° qui est « topologiquement nulle ». Voir aussi mon billet concernant le groupe fondamental de SO(3).

    Répondre
  8. MathOMan
    MathOMan dit :

    Je vais compléter en calculant, suivant cette méthode, l’exercice donné à la fin du billet. Ici ça reste assez simple; dans le cas général on voit que, pour faire des calculs, cette méthode n’est pas beaucoup mieux que la méthode matricielle. Ce n’est pas là où réside son avantage!

    On utilise des points A, B et C comme dans la figure. On choisit A = (1,0,0) sur « l’équateur ». Alors B = ½(1,√3,0) et (OB) est perpendiculaire à l’axe de la rotation S (en fait, c’était ça la raison du choix du point A). Donc on calcule sans problème que C = ¼(√2,√6,2√2). Maintenant l’axe de la rotation SoR est perpendiculaire au plan (OAC). Pour obtenir un vecteur directeur de cet axe on calcule donc le produit vectoriel

    (1,0,0) ∧ (√2,√6,2√2) = (0,-2√2,√6).

    Pour déterminer l’angle (AOC) on utilise le produit scalaire et on trouve qu’il vaut arccos(√2/4). Enfin, SoR est la rotation d’axe orienté (0,-2√2,√6) et d’angle 2arccos(√2/4). (J’ai utilisé le dessin pour trancher entre les deux orientations possibles de l’axe.)

    Répondre
  9. MathOMan
    MathOMan dit :

    Et voici le détail de la preuve proposée par Francesco (commentaire no.4). De nouveau, je m’efforce d’écrire de manière accéssible au non-initiés.

    Soit H un plan. Notons sH la réflexion (orthogonale) par rapport à H (cette transformation de l’espace laisse fixe tout point sur le « miroir » H et « échange » les deux deux demi-espaces, comme dans Alice au pays des merveilles). Considérons un deuxième miroir F. On se propose de voir ce qui se passe lorsqu’on compose  sF o sH.
    Pour cela on regarde un système de trois vecteurs (i,j,k), tous de longueur 1 et mutuellement orthogonaux. Un tel système est appelé une base orthonormée (BNO). Evidemment l’image miroir d’une BNO est encore une BNO.
    Choisissons le vecteur i sur la droite intersection des miroirs H et F, puis le vecteur j dans H. Le vecteur k est pris orthogonal au deux autres, comme dans la figure ci-dessous.

    zwei Spiegelungen im Raum

    On appelle α l’angle entre les deux plans. Maintenant examinons l’image de la BNO (i,j,k) par la composée sF o sH. Il est certain que cette image (i’,j’,k’) est encore une BNO.
    Le vecteur i est dans les deux plans miroir, donc il reste fixe par les deux réflexions. Ainsi i’=i.
    Le vecteur j est dans H, donc sH le laisse fixe. La réflexion suivante sF l’envoie sur le vecteur j’ qu’on obtient quand on tourne j autour de l’axe défini par i, langle de rotation étant 2α.
    Enfin, le vecteur k’ doit être orthogonal à i’ et j’ et avoir longueur 1. Il n’y a que deux possibilités pour un tel vecteur: celle dans la figure suivante et celle avec la direction opposée. On vérifie sans problème que celui de la figure est le bon choix. (Des gens qui connaissent la notion d’orientation de l’espace peuvent raisonner autrement.) L’angle entre k et k’ est également 2α.

    Verknüpfung von Spiegelungen im Raum

    Ainsi nous avons prouvé:

    Lemme 1: La composition de deux réflexions est une rotation; l’axe de rotation est l’intersection des deux plans miroir et l’angle de rotation est le double de l’angle entre les deux.

    On remarque que  sH o sF   donne la rotation opposée à  sF o sH  ; ces deux rotations ont mêmes axe et angle, mais des sens opposés.

    Comme une sorte de réciproque du lemme 1 on a le

    Lemme 2: Toute rotation s’écrit comme composée  sFo sH  de deux réflexions.

    Pour démontrer le lemme 2, un choisit un plan arbitraire H passant par l’axe de la rotation donnée. Il y a alors deux plans passant aussi par l’axe et formant avec H la moitié de l’angle de rotation; on choisit comme plan miroir F celui qui donne le sens de rotation désiré.

    Un constat est important: le premier plan miroir peut être choisi arbitrairement (pourvu qu’il passe par l’axe de rotation). Et évidemment on peut aussi commencer par le choix du deuxième plan miroir (toujours passant par l’axe).

    Maintenant le reste est simple. Soient r et r’ deux rotations par des axes distincts passant par l’orgine. Soit H le plan contenant les deux axes. Comme nous venons de voir il existe deux plans F et F’ tels que

    r = sH o sF  et  r’ = sF’ o sH

    Par conséquence

    r’ o r   =   sF’ o sH o sH o sF   =   sF’ o sF

    ici nous avons utilisé le fait que les deux réflexions consécutives sH se neutralisent mutuellement. Il ne reste que la composée de deux refléxions; donc r’ o r = sF’ o sF est une rotation et le lemme 1 nous informe comment obtenir son axe et son angle.

    Cette méthode fonctionne mais le dessin pour déterminer axe et angle est beaucoup moins évident à faire qu’avec la méthode proposée dans le commentaire no.9.

    Répondre
  10. Le Men
    Le Men dit :

    Bravo! Votre démonstration est intéressante, mais elle me semble tout de même un peu incomplète parce que les angles AOB, BOC, et COA que vous prenez ne sont pas les angles de rotation qui amènent les plans des ellipses les uns sur les autres, et ne semblent pas nécessairement leur être reliés par une relation simple. Pour mieux achever, il me semble qu’il faudrait considérer non pas le triangle ABC lui même, mais son triangle polaire (ou alors d’invoquer les rotations situées au milieu de AB, BC, etc…). Ce qui est vraiment remarquable, à mon avis, c’est que les angles de rotation peuvent également être vus comme les doubles des angles du triangle sphérique ABC (théorème de Rodrigues – Hamilton). En tous cas, merci.

    Répondre
  11. MathOMan
    MathOMan dit :

    Pardon, je ne comprends pas ce que vous écrivez. S’il vous plaît, pourriez-vous préciser un peu plus ce qui, selon vous, manque dans la preuve?

    Peut-être avez-vous lu trop vite et confondu avec la construction des angles d’Euler où chaque rotation succéssive envoie un grand cercle (votre « ellipse ») sur le suivant.
    Et comme je l’ai écrit, les angles AOB, BOC et COA sont les moitiés des angles de rotation; c’est quand même une relation simple. Et puisqu’on travaille sur la sphère unité l’angle AOB en radian coïncide avec la longueur de l’arc AB.

    Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas de « ma » démonstration mais que je l’ai trouvée chez Penrose.

    Répondre
  12. MathOMan
    MathOMan dit :

    Après un échange par email avec Yves Le Men la confusion a été levée. Voici le résumé de notre échange qui nous apprend encore une autre méthode pour déterminer la composée de deux rotations. Merci à Yves Le Men qui a aussi fourni les dessins !

    Comme dans la méthode que j’ai présentée dans le commentaire no.9 on travaille sur la sphère de centre O (mais cette fois les points A, B et C jouent d’autres rôles). Soit RA la rotation d’axe OA et d’angle orienté α. Notations analogues pour RB. Alors il existe un unique point C sur la sphère tel que ABC est un triangle sphérique avec les angles α/2 et β/2 comme indiqué dans le dessin.

    composition de rotations dans l'espace

    On note RC la rotation d’axe OC et d’angle orienté γ. Alors on a la règle de composition suivante.

    Théorème: RA o RB = RC

    Pour prouver ce théorème on introduit C’, le point symétrique de C par rapport à AB.

    composition de rotations dans l'espace

    On se convainc facilement qu’on peut définir C’ de trois manières équivalentes. Premièrement, C’ est le symétrique de C par rapport au plan (OAB). Deuxièmement, C’ est l’image de C par la rotation RB. Et troisièmement, C’ est l’image de C par la rotation inverse de RA.
    Par conséquence, le point C est un point fixe de la composée RA o RB. Cela prouve déjà que la composée des deux rotations est encore une rotation.
    Il reste à déterminer l’angle de la composée. Pour cela on considère le point B’ symétrique de B par rapport à AC. Dans la composée RA o RB on envoie B d’abord sur lui-même, puis sur B’. Il en est de même de la rotation RC d’angle γ. Par conséquence l’angle de la composée est γ.
    CQFD.

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  13. MathOMan
    MathOMan dit :

    Enfin, un résumé des trois méthodes avec des références:

    • Méthode du commentaire no.9: Elle me semble la plus simple et la plus belle car c’est une relation de Chasles. Je l’ai vue dans le livre The Road to Reality de Roger Penrose. En fait, Penrose attribue cette méthode à William Rowan Hamilton, mais en réalité elle a été publiée par William Fishburn Donkin dans cet article de 1851. 
    • Méthode du commentaire no.15: C’est la méthode d’Hamilton. Elle est belle aussi; mais il est un peut moins évident de comparer, avec cette méthode, l’axe de RA o RB et l’axe de RB o RA. On peut prouver que les méthodes de Donkin et de Hamilton sont duales l’une de l’autre, en passant par le triangle polaire.

      L’article de Hamilton date de 1853.
      Une version analytique sans dessin a été présentée en 1840 par Olinde Rodrigues. 
    • Méthode du commentaire no.12: On décompose les rotations en réflexions. Cela permet de prouver que la composée de rotations est encore une rotation, mais on ne voit ni l’angle ni l’axe.
    Répondre

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