Groupes et compagnie

Un magma est un ensemble G muni d’une loi de composition interne ¤.
Si en plus cette loi est associative, c’est-à-dire (x¤yz = x¤(y¤z) pour tous x,y,z dans G, alors on dit que (G,¤) est un demi-groupe.
Et si en plus il existe un élément neutre e dans G, c’est-à-dire e¤x = x¤e = x pour tout x dans G, alors on dit que (G,¤) est un monoïde.
Enfin, si chaque élément x de G possède un neutralisant x’ dans G, c’est-à-dire x¤x’ = x’¤x = e, alors on dit que (G,¤) est un groupe.

On dit aussi le symétrique de x pour l’élément neutralisant x’ de x. Si la loi est notée par une addition on le note souvent -x (opposé) et si la loi est notée par une multiplication on le note souvent x-1 (inverse).

Exemples :

  • Considérons la loi de l’addition habituelle de nombres. Muni de cette loi l’ensemble des naturels strictements positifs N*={1,2,3,…} est un semi-groupe. Il manque l’élément neutre 0 ; on l’ajoute et on obtient le monoïde N={0,1,2,3,…}. Il manque les neutralisants (les opposés) -1, -2, -3, … ; on les ajoute et on obtient le groupe des entiers Z={0,±1,±2,±3,…}.
  • Considérons la loi de la multiplication habituelle de nombres. Muni de cette loi l’ensemble des naturels N est un monoïde, son élément neutre étant 1. Que faut-il ajouter ou enlever pour en faire un groupe ? D’abord on remarque que 0 multiplié avec tout nombre donne 0, donc jamais 1, autrement dit on ne pourra jamais trouver un neutralisant de 0 (on ne peut pas diviser par zéro…). Il faut donc enlever le 0, on trouve N*. Ensuite il faut ajouter les inverses : l’union de N* et de l’ensemble des 1/nn parcourt N*, est-il un groupe ? Non, pas encore, car il faut aussi s’assurer que les produits restent dedans et donc on doit en fait ajouter toutes les fractions de la forme m/n avec m et n dans N*. On trouve le groupe multiplicatif Q*+ des rationnels strictement positifs.
    De même l’ensemble des nombres rationnels non nuls Q* est un groupe.
  • Il existe des loi internes non-associatifs. L’ensemble Z muni de la soustraction est un magma (mais pas un demi-groupe). L’ensemble R3 muni du produit vectoriel
    (x1, x2, x3) × (y1, y2, y3) = (x2y3x3y2, x3y1x1y3, x1y2x2y1)

    en est un autre.

Pour résumer, un groupe est un ensemble muni d’une loi interne associative, possédant un élément neutre et tel que chaque élément a un neutralisant. Il s’agit alors de vérifier ces trois axiomes pour montrer qu’un objet proposé est un groupe.
Beaucoup d’exercices sont de ce type et très souvent ce sont de simples vérifications mécaniques, permettant au débutant de se familiariser avec la notion de groupe. La rédaction de la réponse à la question suivante m’a pris un peu plus de temps, à savoir toute la durée d’un examen que j’ai surveillé hier — pas terrible de réussir un seul exo pendant que les étudiants doivent en faire cinq 😉 mais évidemment cet exo ne faisait pas partie de l’examen…

Exercice : On définit x¤y := x(y2+1)½+y(x2+1)½. L’ensemble des réels muni de cette loi est-il un groupe ?

Toutes les solutions sont acceptées… en particulier celles utilisant la force brute du logiciel de calcul formel Maple car j’aimerais bien savoir si Maple arrive à faire ça. J’ai essayé de forcer Maple mais il ne voulait pas ; soit ça dépasse ses capacités, soit ça dépasse mes compétences maple-istiques.

19 réponses
  1. bibi6
    bibi6 dit :

    "Ensuite il faut ajouter les inverses…" … et s’assurer, qu’en les ajoutant, l’opération reste interne… ce qui n’est pas le cas pour "l’union de \(N^*\) et de l’ensemble des ±1/n où n parcourt \(N^*\)"! En effet, quid de 2/3 par exemple (multiplication de 2 par l’inverse de 3)?

    Dans le cas qui nous intéresse, on veut ajouter un inverse pour chaque élément de \(N^*\) (pour un n, c’est 1/n), puis, former un groupe avec le tout. C’est possible en prenant tous les produits de tels éléments… et on se retrouve alors avec les fractions positives \(Q^+\setminus\{0\}\). Au passage, on introduit la notion de groupe engendré…

    Cordialement.

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  2. Tukikun
    Tukikun dit :

    Tiens, ça alors… J’ai d’abord testé ça sous xcas (logiciel de calcul formel) et il n’y a pas de problème pour l’associativité, alors que Maple refuse de calculer !

    Je commence par définir :
    f:= (x,y)->x*(y^2+1)^(1/2)+y*(x^2+1)^(1/2) ;

    Puis je fais :
    simplify(f(f(x,y),z)-f(x,f(y,z)));

    Xcas me renvoit 0, et Maple n’arrive pas à simplifier.

    Pour l’inverse, un simple
    solve(f(x,y)=0,y);
    donne le résultat: y=-x

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  3. MathOMan
    MathOMan dit :

    Tiens, je ne connaissais pas Xcas. Ca semble très puissant s’il arrive mieux que Maple. Merci pour l’info.

    Concernant la proposition de JLT c’est effectivement ce que j’ai fait. En effet, il n’est pas du tout facile de vérifier l’associativité à la main, donc faire un détour est plus facile.
    Je me suis dit : cette loi de composition est continue ; et comme intuitivement je crois qu’il ne peut exister sur un intervalle ouvert qu’une seule structure de groupe topologique à isomorphisme près (d’ailleurs c’est vrai ça ?), la loi de groupe ¤ devrait donc être un simple transport de la loi + du groupe additif R via une certaine permutation continue f de R, c’est-à-dire on doit avoir

    pour tous réels x,y :  x¤y = f(f-1(x)+f-1(y)).

    Et effectivement, ça fonctionne pour la permutation f = sinh de R. La démo de cette égalité demande quelques lignes de calcul et l’exercice est résolu.

    Probablement on peut aussi faire le calcul direct, mais avec les trois variables x, y, z ça sera nettement plus difficile et je n’y suis pas arrivé, c’est pourquoi je voulais en faire un exercice pour mes cours de Maple mais le logiciel semble incapable de simplifier…

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  4. JLT
    JLT dit :

    Le calcul direct est possible, mais si on n’est pas guidé par les sinus hyperboliques ce n’est pas évident. Le voici :

    Pour tout x, posons \(x’=\sqrt{x^2+1}\). Notons u=xy’+yx’ et v=yz’+zy’. Pour montrer l’associativité, il faut montrer que u’z+uz’=x’v+xv’.

    On a \((u’)^2=1+2x^2y^2+x^2+y^2+2xyx’y’=(xy+x’y’)^2\) donc u’=xy+x’y’. On en déduit que u’z+uz’=xyz+xy’z’+yz’x’+zx’y’. Un calcul analogue donne x’v+xv’=xyz+xy’z’+yz’x’+zx’y’.

    Remarque : par contre je n’ai jamais réussi à mener jusqu’au bout la vérification à la main de l’associativité pour la loi de groupe sur les courbes elliptiques.

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  5. MathOMan
    MathOMan dit :

    Ton calcul direct est bon, mais je l’ai abandonné pour l’autre méthode dès que je sentais le sinus hyperbolique… Qu’en est-il de l’unicité de la structure de groupe topologique sur R à isomorphisme près ? Ca doit être un classique en théorie de Lie que tu devrais connaître.

    Oui, pour le courbes elliptiques complexes le plus facile est certainement de transporter la structure de groupe du tore vers la courbe via la fonction de Weierstrass \(\wp\) et sa dérivée.

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  6. MathOMan
    MathOMan dit :

    Oui, c’est la solution du commentaire no.5 ; mais « rapidement » est un peu exagéré à mon avis. J’en avais pour sept lignes de calcul quand même…

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  7. MathOMan
    MathOMan dit :

    Non, malheureusement pas ! Votre calcul est superflu. En effet, si on a déjà x¤y=sinh(argsh(x)+argsh(y)) alors il n’y a plus rien à prouver, car l’associativité de ¤ est automatiquement transportée via sinh à partir de l’associativité de l’addition dans R (voir commentaire 5). La partie qui consomme de l’énergie calculatoire est de prouver l’égalité x¤y=sinh(argsh(x)+argsh(y)). C’est ça qui m’a pris sept lignes de calcul que je laisse, en suivant une longue tradition de livres maths, au lecteur le soin de détailler.

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  8. Farid Mita
    Farid Mita dit :

    Si j’ai bien compris maintenant,le problème se pose autour de la démonstration "rapide " de x¤y=sh(argsh(x)+argsh(y)).
    Il suffit d’appliquer les formules "hyperboliques", analogues aux trigonométriques, sans revenir à l’expression explicite de argsh(x) utilisant le ln. En effet:
    sh(argsh(x)+argsh(y))=sh(argsh(x))*ch(argsh(y))+ch(argsh(x))*sh(argsh(y))=x(y2+1)½+y(x2+1)½.
    😉

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  9. JLT
    JLT dit :

    > Qu’en est-il de l’unicité de la structure de groupe topologique sur R à isomorphisme près ?

    Les groupes de Lie connexes de dimension 1 sont bien connus (il n’y a que R et le tore), mais si on enlève la différentiabilité je n’ai pas entendu parler d’un tel résultat. Je pense que c’est vrai et j’ai quelques arguments (voir ci-dessous) mais j’ai la flemme de mener la démonstration jusqu’au bout.

    Considérons donc R muni d’une structure de groupe \((x,y)\mapsto x*y\) telle que les opérations soient continues pour la topologie usuelle de R. Quitte à effectuer une translation, on peut supposer que 0 est l’élément neutre.

    Notons \(L_x:y\mapsto x*y\) la translation à gauche et \(R_x\) la translation à droite. Pour tout x, \(L_x\) est un homéomorphisme donc il est strictement monotone.

    Soit x>0. S’il existe y tel que \(L_xy \le y\), comme \(L_x0>0\), d’après le théorème des valeurs intermédiaires il existe z tel que \(L_xz=z\), donc x est l’élément neutre. Contradiction.

    Par conséquent, pour tout x>0 et tout y on a \(L_xy>y\).
    En particulier, l’inverse de x est <0.

    De même, pour tout x<0 et tout y on a \(L_xy<y\).

    Ainsi, on a déjà une application \(f_0:\mathbb{Z}\to \mathbb{R}\) qui envoie 1 sur 1, qui est un morphisme de groupes de (Z,+) dans (R,*) et qui est croissant.

    Considérons maintenant \(h(x)=L_x(x)\). On a h(0)=0 et h(1)>1 donc il existe a compris entre 0 et 1 tel que h(a)=1. On a de même une application \(f_1:\frac{1}{2}\mathbb{Z}\to \mathbb{R}\) prolongeant \(f_0\), qui est un morphisme croissant de groupes.

    En continuant ainsi, on obtient \(f:D\to\mathbb{R}\) un morphisme croissant de l’ensemble des nombres dyadiques vers R. J’imagine qu’on peut le prolonger par continuité en un homéomorphisme de R sur R : celui-ci transporterait l’addition usuelle sur la loi de groupe *, mais c’est là que j’ai la flemme de terminer la démonstration et il n’y a pas de place dans la marge.

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  10. MathOMan
    MathOMan dit :

    > Les groupes de Lie connexes de dimension 1 sont bien connus (il n’y a que R et le tore)

    Je crois tu veux dire « il n’y a que R et le cercle ». En tout cas, comme la structure de l’exercice est différentiable, cette version suffit.

    Concernant la marge je peux t’en envoyer une par la poste ! Bon, mauvaise blague à part, laissons les marges aux commerçants 😉 Merci pour cette ébauche de preuve, j’avais pensé que c’était un résultat bien connu.

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  11. Fabien Besnard
    Fabien Besnard dit :

    On peut répondre au problème de Mathoman et JLT en sortant l’artillerie lourde : un groupe topologique localement euclidien et localement compact est forcément un groupe de Lie. De même pour une groupe localement compact qui n’a pas de petit sous-groupe. Plus généralement, un groupe topologique localement compact est une limite projective de groupes de Lie, selon théorème dû à Gleason, si ma mémoire est bonne. C’est la réponse au 5e problème de Hilbert, qui a une longue histoire. Ceci dit le cas de R se démontre sans doute plus directement…

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  12. PB
    PB dit :

    Un tore signifie parfois cette surface plongée dans l’espace qui ressemble à un chambre à air. Mais le tore c’est aussi le groupe de Lie T=R/Z, par définition.

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  13. MathOMan
    MathOMan dit :

    Oui, je sais, on appelle tore le quotient Tn=Rn/Zn. Pour n=2 c’est le tore habituel. Mais pour n=1 c’est plutôt le cercle habituel. C’est tout ce que je voulais dire par là.

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