Fibres d’une application complexe
Hier Pierre Lecomte a posé dans son blog un exercice sur des angles et la cotangente qui m’a inspiré la généralisation complexe suivante.
Notons
Question:
Déterminer les fibres de l’application \(f\: :\; A\: \to \: \mathbb{C}^3 \) définie par
Réponse:
Soit H est l’hyperplan de C3 d’équation u+v+w=1 et
Dk, k=1,2,3, les droites
Notons D’1=D1\{(1,0,0)}, D’2=D2\{(0,1,0)}, D’3=D3\{(0,0,1)} les droites épointées. Alors l’image de f est
Les fibres de f en les points (1,0,0),(0,1,0) et (0,0,1) sont une union dénombrable de plans complexes (desquels on a enlevé des points isolés), tandis que la fibre en tout point de \(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3)\) est discrète. Plus précisément, la restriction de f à
\(f^{-1}(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3))\) est un revêtement au-dessus \(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3)\).
Preuve:
D’abord nous remarquons que la formule d’addition
peut s’écrire aussi comme \(\cot\beta\cot(-\alpha-\beta)+\cot\alpha\cot(-\alpha-\beta)+\cot\alpha\cot\beta=1.\) Cela signifie que pour tout \((\alpha,\beta,\gamma)\in(\mathbb{C}\setminus\pi\mathbb{Z})^3\) on a
\quad\Leftrightarrow\quad
\alpha+\beta+\gamma\in\pi\mathbb{Z}.\)
Par conséquence l’image de f est contenue dans l’hyperplan H.
Soit maintenant \((\alpha,\beta,\gamma)\in A\).
- Premier cas: \(\alpha\in\frac\pi2+\pi\mathbb{Z}.\) Alors \(\beta+\gamma\in\frac\pi2+\pi\mathbb{Z}\) et par conséquence \(\cot\beta=\tan\gamma\) et on a \(f(\alpha,\beta,\gamma)=(1,0,0)\).
- Second cas: \(\alpha\not\in\frac\pi2+\pi\mathbb{Z}.\) Supposons par l’absurde que la première coordonnée de \(f(\alpha,\beta,\gamma)\) est égale à 1. Ainsi \(\cot\beta\cot\gamma=1\) et \(\cot\alpha\cot\gamma+\cot\alpha\cot\beta=0\). Alors \(\cot\beta=-\cot\gamma.\) Par conséquence \((\cot\beta)^2=-1\), c’est-à-dire \(\cot\beta=\pm i\). C’est une contradiction, car la cotangente est une application de \(\mathbb{C}\setminus\pi\mathbb{Z}\) sur \(\mathbb{C}\setminus\{\pm i\}.\)
On vient de prouver que l’image de f ne contient pas la droite épointée D’1, et par permutation des coordonnées elle ne contient ni D’2 ni D’3. Les seuls points de l’image de f ayant une coordonnée 0 ou 1 sont les trois points (1,0,0), (0,1,0) et (0,0,1). On vient aussi de voir que la fibre en (1,0,0) est
De même on obtient les fibres en (0,1,0) et (0,0,1) par permutation des coordonnées.
Montrons maintenant que la restriction de f réalise un revêtement au-dessus \(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3).\)
Notons arccot la fonction réciproque de la cotangente. C’est une fonction analytique multivaluée
sur \(\mathbb{C}\setminus\{\pm i\}\), primitive de s=-dz/(1+z2). On remarque que le résidu de s en i (resp. –i) vaut i/2 (resp. –i/2). Donc un petit tour dans le sens positif autour de +i (resp. –i) ajoute \(-\pi\) (resp. \(\pi\)) à la détermination de arccot.
Soit (u,v,w) dans H tels que u>0, v>0 et w>0. En résolvant l’équation \(f(\alpha,\beta,\gamma)=(u,v,w)\) on trouve:
Cette formule (*) se prolonge analytiquement sur tout \(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3).\) Pour voir cela il suffit de vérifier que les valeurs des racines évitent les points ±i où arccot n’est pas défini. Supposons par l’absurde que (vw/u)½=±i. Alors vw/u=-1. Avec l’égalité u+v+w=1 cela implique v=1 ou w=1. Donc (u,v,w)=(0,1,0) ou (0,0,1), points qui ne sont pas dans \(H\setminus(D_1\cup D_2\cup D_3).\) Le prolongement analytique est donc possible, on obtient bien un revêtement, ce qui termine la preuve.
Si u fait un petit tour autour de 0 alors la détermination de la racine change de + en -. Vu que pour tout réel x on a \(\rm{arccot}(-x)=\pi – \rm{arccot}(x)\) on obtient alors l’autre solution
Regardons le cas particulier où on prolonge (*) d’un point (u,v,w) dans H avec u>0, v>0, w>0 vers un point (u’,v’,w’) dans H avec u'<0, v'<0, w’>0. Essentiellement il y a à choisir entre deux types de chemins:
- Dans le plan de la variable u on fait un petit demi-tour (sens positif) autour de l’origine et dans le plan des v on fait la même chose. (Le point w reste proche de 1.) Le prolongement de (*) le long de ce chemin aboutit à
(I) \(\left(\rm{arccot}\left(\sqrt{\frac{vw}u}\right),\,\rm{arccot}\left(\sqrt{\frac{uw}v}\right),\, \rm{arccot}\left(-\sqrt{\frac{uv}w}\right)\right),\;\;\;u,v<0,\:w>0.\)
- La variable u fait un petit demi-tour autour de l’origine et v fait la même chose mais dans le sens opposé. Le prolongement de (*) le long de ce chemin aboutit à
(II) \(\left(\rm{arccot}\left(-\sqrt{\frac{vw}u}\right),\,\rm{arccot}\left(-\sqrt{\frac{uw}v}\right),\, \rm{arccot}\left(\sqrt{\frac{uv}w}\right)\right),\;\;\;u,v<0,\:w>0.\)
Evidemment ces deux formules n’ont pas besoin de prolongement analytique pour être démontrées.
Si la formule (I) donne un triplet de somme \(k\pi\) alors la formule (II) donne un triplet de somme \((3-k)\pi.\)
A l’origine de ma question, je m’étais demandé quels points du plan d’un triangle ABC peuvent être un orthocentre de ce triangle, pour un choix convenable du produit scalaire.
La réponse est très simple : outre les sommets du triangle (il peut être rectangle), il y a exactement les points de coordonnées barycentriques (u,v,w) telles que uvw >0. Lorsqu’elles sont positives, le triangle est acutangle. Sinon, exactement deux d’entre elles sont négatives et le triangle a un angle obtus. C’est en confrontant ce fait avec l’expression classique des coordonnées barycentriques de l’orthocentre en terme des cotangentes des angles que le problème posé est né.
Je n’ai pas tout de suite compris le raisonnement de Bernhard mais ici, c’est très clair.
J’apprécie fort cette généralisation intrigante. 😉