Devoirs maison : Améliorer l’éfficacité des TD maths
Aujourd’hui j’ai reçu cet email d’un collègue dont je dois
taire le nom car il habite dans le spectre d’un « corps » à un élément :
\begin{lamentations}
J’ai enfin découvert le chaînon manquant entre le buse et l’évier : un
élève dont je dois taire le nom a réussi écrire « ln(-1) » à 4 reprises
dans sa copie !
\end{lamentations}
Lorsque nous enseignants corrigeons des copies d’examen en première ou deuxième année à l’université ou dans une école d’ingénieurs, très souvent nous nous arrachons les cheveux. Nous ne comprenons pas pourquoi les étudiants n’arrivent pas à refaire des exercices semblables à ceux qu’on a traités en TD ; ou pourquoi ils n’arrivent pas à faire des raisonnements simples.
Evidemment pour une grande partie le responsable de cet échec est le système de l’enseignement secondaire et primaire qui, en cherchant la facilité du zapping sans apprentissage des connaissances fondamentales, fait que dans l’enseignement supérieur on construit sur du sable. Mais comme nous n’y pouvons rien changer, il faut chercher à améliorer le système où nous intervenons, c’est-à-dire l’enseignement supérieur, et le rendre plus efficace.
Ayant fait une partie de mes études en Allemagne je vais proposer une idée inspirée du système universitaire allemand. D’ailleurs ce système existe aussi dans les pays anglo-saxons. La photo suivante illustre la solution que je propose.
Etudiant de maths à l’université de Munich
rendant l’un de ses d.m. hebdomadaires |
Devoirs maisons notés
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de devoirs maisons qui sont à rendre chaque semaine. Vous allez répondre : Mais qui est-ce qui va corriger tout ça ? Dans un amphi il peut bien avoir 150 à 200 étudiants et souvent il y a deux ou trois amphis, ça fait donc beaucoup de copies par semaine ! Les profs aux universités allemandes passent-ils leur nuits à corriger des copies ? Dans une classe prépa française avec peu d’élèves, oui, ça peut fonctionner (et ça fonctionne avec un DM par mois environ), mais pas à l’université !
Evidemment on ne peut pas transposer le système des prépa à une système universitaire où les TD et cours sont souvent assurés par des vacataires. Car on aura du mal à recruter un vacataire qui corrige chaque semaine les devoirs maison de ses groupes de TD ; sans augmentation sensible de sa paye il ne le fera pas.
L’étudiant Korrektor ou Grader
Donc qui est-ce qui va corriger toutes ces copies pour un salaire correct ? Les universités allemandes et américaines nous donnent l’exemple, ils font de l’outsourcing, en confiant ce travail à un personnel moins qualifié et donc moins coûteux : des étudiants de 3e ou 4e année. Ces Korrektoren ou graders sélectionnés, même s’ils n’ont pas forcément le niveau nécessaire pour enseigner, sont bien capables de corriger les copies suivant les instructions et le barême imposé par le professeur responsable du cours. La rémunération est certainement plus basse que celle qu’on devrait payer à un docteur ou agrégé.
Organisation
Chaque semaine les copies sont à rendre avant une heure et un jour fixe. Le correcteur les corrige et les rend une semaine plus tard. La note des devoirs maison peut être intégrée dans la moyenne générale (avec un faible coefficient pour ne pas inciter à la tricherie). Dans l’examen final certains exercices pourraient être inspirés des DM.
Les solutions des exercices des DM sont exposées dans des séances de correction
qui remplacent les actuels séances de TD. On peut rentrer dans le sens même des exercices car le temps d’assimilation de l’énoncé n’est plus pris sur le temps de la séance.
D’ailleurs on pourrait encourager le travail en groupe en autorisant de rendre une seule copie par binôme (cela diminuerait aussi le coût ce correction). Je sais de mes propres études que j’ai beaucoup appris à travailler à deux ou à trois sur un DM.
Avantages
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Contrôle régulier des acquis. Dans le système français actuel l’étudiant est censé de préparer son exercice à la maison avant le TD ; or dans la séance de TD ce n’est pas lui, mais le professeur ou un autre étudiant, qui expose la solution, et donc le travail de l’étudiant ne sera jamais controlé. Il n’y a simplement pas le temps pour contrôler tous. Après quelques semaines, l’étudiant cesse de préparer ses exercices ou il le fait avec une rédaction peu complète.
Seulement des devoirs maison corrigés garantissent un travail complet et régulier. -
Apprentissage de la rédaction. Un débutant en mathématiques apprend à rédiger et raisonner clairement seulement si on le corrige.
Quand j’étais moi-même étudiant en première année je n’aurais jamais appris à bien rédiger si je n’avais pas su que ce que j’écrivais serait lu par un correcteur. -
Gratification. Je dis souvent que les mathématiques sont une sorte de masturbation mentale… mais masturbation fertile ! Si on veut que les étudiants aiment les maths au moins un tout petit peu, il faut leur donner la chance de la découverte. Or dans le système actuel des TD (où on ne contrôle pas le travail de tous) l’étudiant moyen ne prépare pas ses exos. Dans la séance de TD il n’a jamais le temps de
trouver le truc
, il y aura toujours quelqu’un autre avant lui, le professeur ou un étudiant très fort, qui présente la solution. Cela prive l’étudiant du plaisir que peuvent donner les mathématiques car il n’est jamais récompensé par le sentiment d’avoirtrouvé le truc
lui-même. -
Augmenter l’autonomie des étudiants. De la même manière que vous ne trouvez personne qui a appris à jouer au piano en allant au concert, on peut dire que les mathematiques passives n’existent pas. Or dans une séance de TD peu de temps est laissé au travail de chaque élève. Il est évident que les DM augmentent la capacité de travail autonome. Le jour d’un examen l’étudiant se trouve seul devant sa feuille, il ne peut pas poser une question à son professeur de TD. Avec les devoirs maison il se prépare mieux à cette situation.
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Le labo de maths, c’est la tête. Pour des sciences expérimentales comme la physique, la chimie, la biologie, les séances de TP en laboratoire sont essentielles. En mathématiques c’est la tête qui joue le rôle de laboratoire. Et quelque fois vaut mieux que l’enseignant reste loin et laisse le temps aux expériences de fermir dans la tête de l’étudiant. C’est comme avec un élève de violon qui pratique, quelque fois vaut mieux ne pas être à côté…
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Approfondir les connaissances, inciter à l’esprit de recherche. Dans une séance de TD du système actuel on ne peut jamais poser de vrais problèmes intéressants qui demandent un peu de temps de refléxion. On se restreint souvent à des exercices d’application de quelques recettes et si on fait un exo plus intéressant on n’a pas le temps de laisser chercher tous les élèves. Or dans une feuille de DM on peut aussi donner quelques exercices qui demandent un peu plus de recherche.
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Recruter des futurs enseignants ou chercheurs. Les étudiants en 3e ou 4e année sélectionnés et payés pour être correcteurs font ainsi leurs premières expériences dans une équipe pédagogique de l’enseignement supérieur. Ce point peut enrichir leur CV. On pourrait également valoriser ce travail dans leur cursus d’études.
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Démystifier la réussite. Les étudiants correcteurs en 3e ou 4e année serviront de bon exemple aux étudiants de 1ère ou 2e année et montrent qu’il est bien possible de réussir.
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Economiser de l’argent en augmentant le niveau.
Vu que les actuels séances de TD n’existeraient plus et céderaient la place à desséances de correction de d.m.
on peut les faire en groupes plus grands.
En plus, inutile de dépenser de l’argent dans descours de mise à niveau
que certains établissement font ; car on peut faire autant de cours de mise à niveau qu’on veut — si les étudiants ne travaillent pas chez eux, c’est du temps et de l’argent perdu.
Voilà donc mes idées d’Outre-Rhin. Ca marche très bien là-bas, je vous assure. Pourquoi ne pas l’essayer ici ?
On pourra aussi lire un billet et un autre sur thème, écrit par un collègue en physique.
Je vais dire en quelques mots pourquoi cette proposition ne marche pas à l’université :
1. Les étudiants de 1e et 2e année sont très faibles pour 70% d’entre eux. Ceci est dû au fait que l’on ne peut pas sélectionner à l’entrée de l’université. C’est aussi aggravé, en première année, par le fait que la première année n’est pas encore assez spécialisée. Dans l’université où j’enseigne, les matheux sont mélangés avec les informaticiens qui sont généralement plus faibles, et souvent peu motivés, en maths. Dans d’autres facs c’est encore pire (mélange de tous les étudiants en sciences, par exemple). Or, un étudiant très faible est incapable de trouver quoi que ce soit si on lui donne à chercher un D.M., il a besoin d’un "coup de pouce" de l’enseignant de TD. S’il ne trouve pas la solution du D.M., ce n’est pas parce qu’il rédige mal ni parce qu’on ne lui laisse pas assez de temps, mais parce qu’il commet des erreurs grossières ou ne comprend pas une définition de base.
2. Ceci ne veut pas dire que les D.M. sont inutiles, bien sûr, mais à mon avis ils ne sont profitables qu’aux étudiants qui ont déjà au départ assez de capacités pour aller jusqu’au bout de la licence de math. Donc on peut poser des D.M., mais ils ne doivent pas remplacer complètement les TD. Pourquoi? Sinon les plus faibles seront incapables de chercher ces exercices tout seuls, ou bien n’ont pas la motivation pour y passer le temps nécessaire (car les maths, plus on comprend, plus on aime, et plus on aime, plus on travaille, et plus on travaille, plus on comprend…). Ils vont donc très rapidement décrocher, le taux de réussite sera dramatiquement bas, et ce sera mal vu par l’AERES.
3. Dans les fac, depuis l’instauration du plan réussite en licence (euphémisme pour dire "lutte contre l’échec"), s’est mis en place un suivi régulier des étudiants : devoirs surveillés corrigés, colles… Une partie du travail est assurée par des étudiants plus avancés (par exemple de préparation au CAPES). Ca ne coûte pas très cher, mais on manque de candidats. D’abord parce que le tarif horaire est scandaleusement bas (proche du SMIC). Aussi parce que les étudiants plus avancés n’ont pas toujours un emploi du temps compatible. Et enfin parce qu’ils ne sont pas tous compétents donc il ne faut pas embaucher n’importe qui, et il faut qu’ils soient bien encadrés par l’enseignant responsable du cours.
4. Cela dit, comme souligné dans l’article, le problème le plus grave est en amont : les élèves de lycée ne font pas suffisamment de démonstrations. Arrivés à la fac, ils ont souvent une vision purement algorithmique (=recettes de cuisine) des maths, et doivent brusquement apprendre à raisonner et simultanément à comprendre des notions abstraites.
> Je vais dire en quelques mots pourquoi cette proposition ne marche pas à l’université
Tu veux dire à l’université française. Car ailleurs (Allemagne, pays anglo-saxons) ça marche très bien. Evidemment il faut proposer un mélange d’exercices, du plus simple au plus difficile.
Pour les étudiants qui au début de l’année ne savent pas résoudre une équation de la forme ax+b=0 ou additionner deux fractions il faut poser quelques exercices dans ce genre, puis d’autres exercices destinés à ceux qui ont le véritable niveau de bac (celui qui est exigé sur le papier mais plus sur le terrain).
Peut-être il ne faut pas entièrement supprimer les TD mais introduire des DM réguliers me semblerait très profitable pour tout le monde, les bons et les faibles. En tout cas, je ne pense que des DM réguliers sont une meilleure lutte contre l’échec qu’une augmentation de l’emploi de temps par des cours de soutien, colles, etc…
Oui, bien sûr je veux dire à l’université française. J’ajoute que je connais bien le système américain pour y avoir enseigné le "calculus" pendant 3 semestres. Les "graders" doivent avoir 2 niveaux d’écart, et doivent avoir obtenu au moins un "B" au module dont ils corrigent les devoirs-maison. Les exercices sont tout à fait standard (ils ressemblent aux exemples dans un livre de référence), ce qui fait qu’il y a peu de risques que le "grader" fasse mal son travail… sauf que parfois cela arrive quand même, notamment lorsque l’étudiant utilise une méthode différente de la solution qui a été communiquée au "grader". Cependant, le système se transpose mal en France pour les raisons invoquées (manque de bons étudiants, impossibilité de donner une juste rémunération, etc.). Actuellement, je pencherais pour une solution du type :
– mettre des QCM en ligne, avec des questions de compréhension immédiate du cours, pour les plus faibles
– ouvrir des "classes d’excellence" pour les meilleurs, où on pourrait traiter des exercices plus élaborés (et où on pourrait faire des séances de correction comme indiqué dans l’article).
Les problèmes pour y parvenir sont:
– manque de main d’oeuvre. Elaborer et mettre des QCM en ligne, ou bien encadrer un étudiant avancé pour qu’il s’en charge prend du temps, et la plupart des enseignants ne sont pas disposés à faire cet effort car tout le monde a déjà beaucoup de choses à faire. Idem pour ce qui est d’encadrer les corrections de copies [tâche plus délicate en France qu’aux Etats-Unis si on veut dépasser le niveau du QCM].
– dans un contexte de réduction des effectifs d’enseignants-chercheurs à l’université, proposer une baisse des volumes horaires des TD est mal vu car si dans une discipline (disons les math) certains sont en sous-service, les départs à la retraite ne sont pas renouvelés.
Je trouve cette suggestion très intéressante, en tout cas pour ce qui concerne les écoles d’ingé post-bac. Je vois quand même un inconvénient : on n’est pas forcément très productif seul ou à deux devant un DM, et comme il faut rendre un truc propre ça prend plus de temps. Si une séance de TD de 2h peut permettre d’aborder 6 ou 7 exos, on ne peut pas raisonnablement demander à un étudiant de rédiger 6 ou 7 exos par semaine, ce serait beaucoup trop long pour lui. Donc on va se limiter à 3 ou 4, et ce sera très insuffisant pour couvrir le cours.
Mais quand même, je retiens l’idée, peut-être que je vais l’expérimenter, pour une séance de TD sur 3 ou sur 4 dans un premier temps, et recueillir les réactions des élèves. Je te tiendrai au courant.
En revanche pour la Fac, aucune solution même ingénieuse ne pourra changer quoi que ce soit au fait que la majorité des élèves sont là par défaut et n’ont aucune motivation ni goût pour des études théoriques pour lesquelles ils ne sont pas faits. (Ah oui, et JLT a raison, ils sont là aussi pour justifier l’existence des postes, problème qui commence aussi à se poser en prépa !) Donc là, je ne vois aucune solution tant qu’on ne revient pas à plus de rigueur et d’exigence, à des contenus et des horaires dignes de ce nom pour les disciplines scientifiques (et le Français !) dans l’enseignement secondaire. Mais on n’en prend malheureusement pas le chemin…
Peut-être qu’il suffirait simplement d’essayer ? Enfin, ce n’est probablement pas aussi simple, mais bon. Je vais en parler à mes collègues…