Question autour d’une singularité essentielle et le théorème de Picard

A la fin de mon article Hyperelliptic action integral, Annales de l’institut Fourier 49(1), p. 303–331, j’ose la conjecture suivante:

Une conjecture autour d’une singularité.
Soit D le disque unité du plan complexe et \(U_1,U_2,\,\dots\,,U_n\) un recouvrement du disque épointé D*= D\{0} par des ouverts connexes. Sur chaque ouvert \(U_j\) soit \(f_j\) une fonction holomorphe injective telle que \(df_j=df_k\) sur toutes les intersections \(U_j\cap U_k\). Alors ces différentielles se recollent en une 1-forme méromorphe sur D.

Il est clair que la 1-forme est holomorphe sur D*. Si son résidu est nul, alors la conjecture découle facilement du grand théorème de Picard, cité ci-dessous. Mais si le résidu est non-nul, je ne sais pas la démontrer.
Toute preuve ou tout contre-exemple sont les bienvenus — à vrai dire les contre-exemples un peu moins car je crois (guidé par mon intuition géométrique des surfaces de Riemann) que cette conjecture est vraie…

En 1880 Charles Emile Picard (1856-1941) prouva le théorème suivant.

Grand théorème de Picard.
Une fonction holomorphe ayant une singularité essentielle prend, sur tout voisinage de cette singularité, tout nombre complexe une infinité de fois comme valeur, sauf peut-être un.

Exemple typique pour le théorème de Picard

La fonction définie par

\(\:f(z)=e^{1/z}=\sum_{k=0}^{\infty}\:\frac1{k!z^k}\;\)

est holomorphe sur \(\mathbb{C}\backslash0\) et possède une singularité essentielle en \(0\). L’image de f épargne-t-il une valeur (Picard dit "sauf peut-être un")? Oui, et comme \(f(z)\neq0\) pour tout \(z\in\mathbb{C}\backslash0\), cette valeur épargnée est forcément zéro; le théorème affirme alors que pour tout nombre complexe \(w\neq0\) et pour tout \(\epsilon>0\) il existe une infinité de nombres complexes \(z\) tels que \(0<|z|<\epsilon\) et \(f(z)=w\).

Calcul direct avec cet exemple

Dans l’exemple ci-dessus on peut se debrouiller par un calcul direct sans invoquer le théorème de Picard. En effet, fixons un nombre complexe non-nul \(w\) et un \(\epsilon>0.\) Il existe alors deux réels \(r>0\) et \(\varphi\) tels que

\(w=re^{i\varphi}.\)

Pour tout \(n \in \mathbb{N}\) posons \(u_n=\ln r+i(\varphi+2\pi n)\) et \(z_n=1/{u_n}.\) Alors \(\lim_{n\to\infty}z_n=0\).
Ainsi on a on a

\(f(z_n)=e^{u_n}=e^{\ln r+i(\varphi+2\pi n)}=re^{i \varphi}=w.\)

Par conséquence, en prenant \(n\) assez grand, on voit que \(w\) possède une infinité d’antécédents dans le disque épointé \(0<\,|z|\,<\epsilon\).

Un exemple moins évident

Notons P l’ensemble des nombres premiers et considérons la fonction définie par
 

\(g(z)=\sum_{p \in P}^{}\frac{1}{p!z^p}\).

On peut appliquer le théorème de Picard, car il y a une singularité essentielle à l’origine.
En revanche, il me semble impossible de faire un calcul explicite…

4 réponses
  1. adam
    adam dit :

    Monsieur, je n’ai malheureusement pas quelque chose a dire concernant votre conjecture ( je suis plutôt a l’aise avec l’Algèbre ). Toutefois je me permet de demander votre aide. Je cherche un livre sur les fonctions holomorphes que mon prof d’analyse complexe utilisait en licence. Je me souviens plus du titre exact ni de l’auteur mais c’est un des ces fameux ouvrages de la Collection U d’Armand Colin, celle dirigée par André Revuz si mes souvenirs sont bon. Par ailleurs votre blog est une perle rare. Merci d’avance.

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  2. Mathoman
    Mathoman dit :

    Pourquoi ne demandez-vous pas à votre ancien prof d’analyse ? Les deux livres niveau licence sur les fonctions holomorphes
    que je peux conseiller sont Théorie élémentaire des fonctions analytiques d’une ou plusieurs variables complexes de Henri Cartan (paru chez Hermann) et
    l’excellent livre de Klaus Jähnich (paru chez Springer). Pour aller plus loin il y a aussi Lectures on Riemann Surfaces par Otto Forster (l’un de mes anciens profs d’analyse à Munich).

    Répondre
  3. anderstood
    anderstood dit :

    Bonjour, avez-vous envisagé de soumettre votre conjecture en anglais sur mathoverflow.net? L’audience est large et le niveau élevé. Sinon ça pourrait aussi trouver preneur, en français, sur les-mathematiques.net.

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  4. MathOMan
    MathOMan dit :

    Merci pour votre intérêt. La conjecture figure déjà sur MathOverflow :
    mathoverflow.net/question…

    On peut y lire une réponse trop rapide et erronée de Bill Thurston. Il a promis "to redo things" et de corriger l’erreur; malheureusement il est mort quelques temps plus tard. Cela dit, je ne pense pas que les méthodes purement topologiques employées par Thurston soient adéquates pour prouver la conjecture (ou pour trouver un contre-exemple). À mon avis il faut mettre la main à la pâte de l’analyse complexe, style Ahlfors, Nevanlinna, Pommerenke, directions de Julia…

    À ce jour j’ai réçu plusieurs "preuves" mais, après lecture attentive, toutes comportaient une erreur. Un spécialiste d’analyse complexe de Purdue Université m’a écrit que, après avoir essayé en vain de démontrer la conjecture, il a cherché à construire un contre-exemple (également en vain).

    De nos jours une telle question sur les fonctions holomorphes à une variable n’intéresse pas beaucoup de monde. Bieberbach, Pringsheim & Co. ne sont plus à la mode, les spécialistes en analyse complexe préfèrent des questions plus générales en n dimensions 😉 Regardez la conjecture (aujourd’hui: le théorème) de Bieberbach: Pendant des décennies on faisait des avancées en plusieurs variables, mais ce petit énoncé à une variable resistait !

    Pour terminer: Mon intuition me dit toujours que la conjecture est vraie.

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